Le Pharmacien
« Jack n’était pas satisfait, jamais, il disait toujours, c’est fini, presque, et puis il écrivait, encore.
Au début, on était plein, tous ensemble, dans ce vieil immeuble, il n’y avait plus de peinture, on faisait du feu, les plaques de la cuisinière, elles ne chauffaient pas, ça nous plaisait, le soir, on mangeait, Jack prenait un oeuf, il disait, j’ai du travail, il sortait de table et puis, il écrivait.
Léa faisait la cuisine, avec des petits oignons, Daniel réparait les fenêtres, les portes aussi, des fois, Clara s’occupait des chats, Noé collectionnait des timbres, il en a vendu deux à un type, une fois, Nanou chantait, toute la journée, toute la nuit, souvent, Lucien l’accompagnait à l’accordéon et quand il faisait froid, on s’en foutait.
Jack mangeait des œufs, ses doigts aussi, pas les ongles, l’autre côté, il mordait, fort, il était plutôt sympa, Jack, mais on voyait, alors, on lui disait, ton perfectionnisme te tuera, Jack, et puis, on commençait même à le penser, mais, Jack nous disait, ne vous inquiétez pas, et puis, Jack, il arrachait ses cheveux.
Après, Noé a finit de vendre ses timbres, il a acheté une voiture, Clara est partie faire le tour du monde et puis, elle n’a jamais arrêté, Daniel et Nanou ont eu des enfants, trois, dont un aux yeux bleus, puis une maison, avec plein de fenêtres, Lucien a continué à jouer, un peu partout, et Léa travaille dans un hôtel, quatre étoiles.
Aller, vivre, mais pas Jack, Jack restait, il faisait, toujours la même chose, et il disait, encore, c’est fini, presque, et il y restait, dans ce vieil immeuble, et il y avait moins de gens, et il y avait plus de feuilles, dans sa chambre, partout, noircies, chiffonnées, déchirées, comme ses doigts, qui saignaient, ses yeux, qui se vidaient, et ses cheveux, il n’en avait plus.
Moi aussi, j’ai fini par partir, mais je ne voulais pas le laisser seul, alors, le jeudi, j’y repassais, dans le vieil immeuble, Jack n’avait jamais été bavard, et c’était de pire en pire, j’ai essayé, bien sûr, parler, mais il disait, tu verras, et moi, je lui demandais, Jack, ça va, et il me répondais, oui, merci, tu verras.
Et puis un jeudi, il ne parlait plus du tout, alors, je suis entré, il y avait des feuilles, partout, plus que jamais, et Jack, il était au milieu, il avait carrément fini de bouffer ses doigts, alors il s’était attaqué à ses bras, et puis, ça avait foutu du sang partout, sur ses feuilles, on ne pouvait plus rien lire, ça puait la mort, Jack était mort.
Jack, c’était un petit gars un peu comme toi au début, mais toi, garçon, tu ne veux pas finir comme Jack, n’est-ce pas ? Qu’es-tu dis-moi ; un sportif à l’avenir prometteur ? Je ne sais pas, une sorte d’écrivain, comme Jack ? Un étudiant dévoué ? Un musicien, un artiste en herbe peut-être ?
Dis moi, à quelle noble obsession as-tu décidé d’offrir tes nuits ? Quels peuvent bien être ces si beaux rêves qui t’empêchent de dormir, qui te font haïr les limites de ton corps ?
Regarde, toi, tu es jeune.
Tiens, on a une action sur les préservatifs fluorescents, c’est ça qu’il te faut, pas ces pilules. »
« Je vous emmerde, vous, votre bite et vos conneries. Donnez-moi mes pilules et cessez de m’appeler “garçon”, je m’appelle Hector. Et je changerai le monde. J’existe, moi. »