SaleJeune.com

19h12 – Oh mon beau miroir, salle de bain du rez

Et merde, déjà ivre, décoiffée qui plus est, mais regarde toi ma pauvre, ce reflet, c’est moi, qu’est ce que je vais en faire, de ma vie, qu’est ce que j’en sais, où est Caroline, dans la salle de bain sûrement, être heureux aurait répondu Lenon, moi j’en ai rien à foutre, c’est pas en étant heureux qu’on change le monde, Van Gogh, Mozart, Einstein, tous à la même et de toute façon, je me nourris d’adrénaline moi, pas de bonheur, Caroline qu’est ce que tu fais, dépêche toi, j’arrive, laissez-moi penser, penser, c’est fou, cette fille n’est plus la même, c’est Hector, ça l’a bouleversée, bien sûr, on dirait qu’elle ne trouve plus de réconfort nulle part, ni dans les livres, ni dans les équations, pas même dans les vocabulaires d’allemand, son univers, ses repères, tout a explosé, ce mec a au moins le mérite de l’avoir fait changer, je sais pas, il me faisait peur, c’est peut-être mieux comme ça, il aurait pu la tuer, donc t’es en train de dire que c’est mieux pour elle qu’il soit mort, non, je ne dit pas ça, c’est horrible, de voir Caroline comme ça, dis moi Céline, qu’est ce que tu as autour du cou, c’est ma mère qui me l’a offerte, je pourrais te l’emprunter ton amulette, non Natan, j’y tiens beaucoup tu comprend, bien sûr, Caroline, enfin, viens, il faut que je te présente Maxence, le maître de maison, Céline, les toilettes sont libres.

21h30 – Le mur des philosophes, garage du rez

C’est un peu l’attraction de la soirée, après la poitrine de Jennifer, écrire des citations sur un mur, ça a un petit côté rebelle, donne l’impression de réfléchir et fait de jolies photos, c’est important, parce qu’une soirée sans photo c’est comme un tour de magie vu depuis le côté, ça perd un peu de son charme, l’ambiance ça ne tient qu’à un fil et quelques dizaines de règles, strictement les mêmes qu’aux soirées mondaines de Balzac, faire semblant d’être libre, saint, se jeter sur le premier faux pas d’autrui, pour de vrai et le bouffer, Eric ne sait pas qui est cette Balzac, jamais été un grand fan de cinéma, les théories d’Adrian sont un peu compliquées, passe moi le rose s’il te plaît, merci, live fast, die young, le leitmotiv d’une génération, vomir la vie comme un vulgaire shot de tequila, stylé, à côté Natan écrit à la craie blanche, un verre dans l’autre main, ce n’est pas un gage de bonne santé que d’être bien intégré dans une société profondément malade, ici ça tiendra peut-être plus longtemps, il l’avait déjà tagué une nuit quelques semaines plus tôt sur un mur de son gymnase, malade souligné en rouge pour donner un petit air dramatique, effacé le surlendemain sur ordre d’une directrice ayant enterré ses jeunes années de professeur de philosophie au profit d’une carrière d’arroseuse de plantes vertes.

23h43 – Ethan l’homosexuel, salon du premier

Les hommes baisent pour le plaisir, les femmes par instinct maternel, ça change tout, vous avez besoin d’un cocon, de sécurité, de garanties, moi d’une enveloppe de vol dont je puisse faire des confettis, de sauter dans l’inconnu, de sensations en somme, j’ai des valeurs, aucun principe qui viendrait me limiter, je vous adore, je ne vous confierai juste pas mon coeur par peur qu’il pourrisse d’ennui, cela étant dit, s’agissant d’une nuit, je suis ouvert à tout et tout le monde, aller viens, j’ai parqué mon tapis volant à côté du garage, je te dépose chez toi demain matin après le petit déjeuner, t’as vu, Ethan et Charlotte viennent de partir les deux, ce mec m’étonnera toujours, je croyais qu’il était gay, oh tu sais il est beaucoup de choses, c’est une boule à facette, on veut toujours coller une étiquette sur les gens : Ethan l’homosexuel, Julia l’anorexique, Jennifer les seins, le problème c’est qu’un mot suffit rarement, une étiquette c’est plat, une personnalité c’est grand, oui mais là Ethan c’est un puits sans fond, quand même, il est bizarre, tu sais l’un dans l’autre, je suis sûr qu’il se fait bien moins entuber que nous, à nous demander ce qui est cohérent ou pas comme si ça avait une quelconque importance et Charlotte est jolie, je comprends, bière-clope, ça te dit ?

01h57 – Bon appétit, cuisine du deuxième

Maxence t’aurais pas des pâtes, tu veux déjà manger, oui, jamais rien de bien n’arrive après 2h du mat’, j’ai lu ça dans un bouquin, où dans How I Met Your Mother, je ne sais plus, bien sûr, y’a des farfalle dans l’armoire à gauche de la poubelle, si jamais demande à Marie et Luc, ils sont dans la cuisine, ah si monsieur savait comme mademoiselle souffre, ah si monsieur pouvait faire preuve d’un peu d’attention, comme au début, dire un mot, un seul, hey salut Eric, qu’est ce que tu fais, je viens bouffer, ça tourne un peu, ah si mademoiselle savait que monsieur s’est tapé Charlotte durant les trois dernières soirées et qu’il préférerait être seul ce soir, ah si Charlotte avait pu attendre quelques heures que mademoiselle s’endorme, Eric tu pourrais nous faire cuire quelques pâtes, on a pas encore mangé, on parle, vous parlez vachement silencieusement, ta gueule, ok je mets bouillir l’eau, ah si monsieur savait que les papillons dans le ventre de mademoiselle agonisent, affamés, ah si mademoiselle savait que monsieur reste avec elle juste par peur qu’elle se flingue s’il se tire, ah si monsieur savait à quel point mademoiselle l’aime, peut-être que les choses seraient différentes, ah si mademoiselle n’avait pas doublé de poids en trois ans, peut-être qu’on pourrais manger, oui, bon appétit.

04h26 – Mélanges, terrasse du troisième

Natan, hey, Natan, ça va, ouai mec, tranquillement, tu n’as pas l’air très bien, et pourtant, si tu savais tout ce que j’ai dans le sang, je devrais péter la forme, pourquoi tu te mets dans un état pareil, tu veux imiter Hector hein, juste parce qu’il mort il devient ton modèle c’est ça, non, c’est parce que c’était mon meilleur ami, et il ne prenait jamais rien, pas assez en tout cas, la preuve, il était triste, peu importe, dis moi plutôt, il s’est passé quoi avec Jennifer, je sais pas, Maxence on est chez toi, et tu ne sais pas, c’est un black qui s’est incrusté, je le connaissais pas, mais je suis sûre qu’elle ne devait pas être si réticente que ça, c’est des rumeurs, c’est Jennifer après tout, si c’était une amie proche je serais intervenu mais je ne la connais pas bien, et je ne voulais pas entrer sans frapper, et elle est majeure aussi, je ne peux pas m’occuper de tout et de tout le monde, mais je prendrai des nouvelles demain, en attendant aide moi à trouver le pendentif de Céline, elle l’a perdu, elle était hors d’elle, ah oui le truc en forme de croix, je l’ai foutu dans un verre de rome-coca là-bas, j’espère que personne ne l’a bu, au pire elle le récupérera dans quelques jours, oh Natan tu es ignoble, pourquoi tu as fais ça, c’est pas du rhum, c’est du whisky, 35 frs la bouteille, ça se boit pur, 20 ans d’âge et incapable de faire la différence, réveille toi !

  • Écrit entre le mois de novembre 2012 et le mois de mars 2014,
  • Premier prix ex aequo du Prix Interrégional des Jeunes Auteurs 2014,
  • Publié dans l’édition 2014 de l’Âge d’Encre, la revue littéraire du Gymnase Auguste Piccard.