Sans les autres
Olivier est assis juste à côté de Maxence, le type bizarre qui fait du bruit avec ses pieds, des claquettes, c’est tellement beau, un homme, un vrai, explique Jeanne, la petite blonde plutôt mignonne qui est assise avec sa meilleure amie et sa demi-soeur Joana qui n’écoute que d’une oreille, l’autre étant concentrée sur Sorry for Party Rocking, la nouvelle musique trop swag jouée par le groupe dont Eric, le joueur de rugby, ouais celui qui s’est fait Maude et Caroline à l’anniversaire d’Adrian il y a deux semaines après avoir gagné un match plutôt serré, a oublié le nom, encore, pas grave, il l’a sur son portable et de toute façon, bof, c’est vraiment très commercial, Line ne pourrait pas l’écouter en boucle toute la journée comme Ethan, le mec sympa mais un peu louche qui porte une paire d’écouteurs beats qu’il a reçus et qui font quatre fois la taille de sa tête, ça fait légèrement autiste mais non, Morgane n’est pas d’accord, il est plutôt beau gosse et franchement, comparé à l’autre, Luc il n’a rien à lui envier, c’est cool mais tu vois pas que j’essaie d’apprendre ce voc d’allemand, ça me stresse à un point…
Arno n’a pas faim, juste besoin d’un peu de musique parce que, sérieux, ces cours ça devient lourd, Hey, teachers, leave them kids alone! dans les écouteurs Apple offerts gracieusement avec l’iPhone qu’il a acheté il y a quatre semaines, il s’achètera un croissant au jambon dans cinq minutes, ceux qu’Antoine adore, c’est bizarre d’écouter de la musique seul, ce mec a totalement raison, All in all, it’s just another brick in the wall, iPhone, Ray-Ban et ça se croit anticonformiste, franchement, il y a quelque chose dans ses yeux se dit Ethan et Morgane mettra du temps, beaucoup de temps à l’accepter, compatissante, Sandy, elle essaie de rassurer, il va peut-être changer, c’est débile autant décrocher tout de suite se dit Maxence, ces gars sont différents, ils ne changent pas et pour une fois il a raison, tu m’écoutes bordel, excuse, je pensais à autre chose, mais sérieusement, vous trouvez pas étrange qu’on n’ait pas vu Hector aujourd’hui, non, j’en sais rien, il est sûrement malade, non il est juste parti en vacances un peu en avance, ce glandeur, mais non il était là ce matin je l’ai vu en cours de dessin, dessiner des mouches c’est sympa mais heureusement que Diane est en option musique, c’est quand même plus utile.
Il n’y a plus de croissants au jambon, c’est pas vrai, ça fait quand même chier c’est pourtant pas compliqué la gestion des stocks, Maude ne comprend pas pourquoi Olivier a toujours besoin de crier sur les gens, c’est vrai quoi, personne n’est parfait, Arno qui regarde Adrian du coin de l’oeil, c’est stupide, il ferait mieux de finir sa dissertation, trouve ça plutôt drôle, il en a eu un lui, au moins, et c’était le dernier, ces gens, toujours en train de bouffer, ça me dégoûte vraiment, j’y peux rien, mais mange au moins une pomme, pourquoi Julia ne mange rien, ça ne concerne personne et Maxence de toute façon s’en fiche de cette fille, Caroline sait, elle a fait un exposé sur le sujet et son père qui a travaillé pendant plus de treize ans en tant que psychiatre lui a expliqué, pétasse, toujours persuadée d’être un génie celle-là, encore pucelle si ça se trouve, rien d’étonnant, quinze ans c’est encore plutôt jeune après tout, fumer depuis trois ans à dix-sept ans c’est pas glorieux, comment c’est possible que des jeunes puissent se procurer des drogues aussi facilement, We Are From Venice, The Bloody Beetroots dans le casque old-school, le nuage de fumée qui s’évapore lentement, le soleil et la vue sur le lac, c’est quand même hype, c’est vrai, c’est pas mal, juste dommage, pas de bière, ces règlements…
Hector est juste à côté, dans les toilettes, les fameuses, juste à côté de la cafétéria, celles où Eric s’est fait Margot, juste avant le cours de biologie du lundi matin, celles où Julia s’est sentie tellement bien, la tête dans la cuvette puis devant le miroir, enfin seul, dormir, si seulement, ça sort pas ou quoi, ce mec va-t-il vraiment y passer quatre heures, c’est bizarre ces sautes d’humeurs, peut-être que son père aurait dû faire comme celui d’Arno, placer un peu de Xanax dans ses céréales après le divorce, juste histoire de garantir un peu de stabilité, mais non, ça n’a rien à voir, Caroline connaît trois familles recomposées où les gens se portent à merveille, le fils de l’une d’entre elle, d’ailleurs, Valentin, vient de partir à Berlin et ça se passe très bien, il réfléchit, parle, admire, le ciel bleu ensoleillé derrière les gratte-ciel de Potsdamerplatz, J’voudrais être son ombre, mais je la déteste, Stromae j’adore, t’aurais pas dû mec, sérieux, cette fille vraiment, faudrait voir pour arrêter de débiter des conneries, Jeanne est plutôt d’accord avec Caroline, mais là vraiment je dois y aller, ciao mon coeur, Maxence aime ça, mon coeur, c’est plutôt mignon, Joana est jalouse mais ça lui passera, elle n’a qu’à pas viser si haut, Ethan, par exemple serait parfait pour elle, ça viendra et de toute façon si c’est pour finir comme Maude et Olivier, ça n’est pas si pressant, elle va où, elle a un concours, danse, bonne chance, Genève, voie 7, celle-là même sur laquelle Hector finira dans quatre ans, sous l’interegio pour Villeneuve, dépression, schizophrénie, trouble de la pensée, dur à dire, toujours en retard, le train, ma fois, il y a des fous partout, on ne peut rien faire, c’est pourtant pas compliqué, les trains à deux étages, ça existe depuis longtemps.